Olivier m’a appelé hier soir, après une drôle de première journée dans ses nouvelles fonctions. Pas que sa journée ait été mauvaise, non… Mais voilà, rien ne s’est vraiment passé comme il l’imaginait. A peine arrivé sur le site dont il était le nouveau responsable, son patron l’a littéralement pris en main. Plus aucun contrôle de la situation ! C’était parti pour une visite immédiate de l’usine.

Je comprends qu’il ait été décontenancé. Sans doute aurait-il préféré un entretien posé avec le directeur, un petit tour d’horizon dans le calme et la confidence d’un bureau. La consultation du plan du site et de l’organigramme auraient par exemple constitué de bons préalables.

Cette anecdote m’est longtemps restée en tête. J’avais, au moment où je l’ai entendue, l’intuition qu’elle traduisait quelque chose d’anormal. Mais à cette époque, Olivier n’avait pas été plus loin dans l’expression de son malaise. Et pour cause, il avait été soudainement et irrémédiablement pris dans un engrenage à destination de l’épuisement total.

Olivier reprit contact avec moi un an plus tard. La coupe était pleine : il était déterminé à quitter l’entreprise. J’entends les arguments qu’il avance et auxquels je ne peux que souscrire : il est littéralement happé par le terrain, sur lequel il passe le plus clair de ses journées à régler le moindre problème opérationnel. Il est vidé de ses forces, débordé.

Non, vraiment, ce job n’est pas fait pour lui, m’assure-t-il. Il n’y arrive plus.

Aussitôt, je lui conseille d’attendre et de se poser avant de prendre une décision aussi lourde de conséquences. Je connais suffisamment Olivier pour savoir qu’il possède toutes les qualités nécessaires pour faire un bon manager. Il y a quelque chose d’anormal dans cette situation d’échec.

Mais voilà, c’est trop tard ! Olivier m’explique qu’il a déjà annoncé son désir de partir.

J’invite Olivier à proposer autre chose à son patron : l’intervention d’une aide extérieure pour lui permettre de discerner les raisons de ce malaise. Il obtient son accord. J’ai désormais la voie libre pour entamer un sérieux travail de relecture.

Pour commencer, je soumets Olivier à un test dont le résultat est sans ambiguïté : il se comporte au travail comme un « bon petit soldat ».

En toute occasion, il se montre serviable et adaptable, bien au-delà même de ses attributions. Les entreprises apprécient souvent ce type de profil, et pour cause ! Le pendant, c’est que les personnes qui se comportent ainsi ressentent souvent comme un arrière-goût, amer, d’inachevé.

Le moment est venu de demander à Olivier ce qu’il considère comme des réalisations réussies. Je lui précise que l’avis des autres ne revêt ici aucune importance. Il est seulement question de savoir ce que lui considère comme ses propres succès. Je suis particulièrement attentif aux verbes qu’il emploie. Je le questionne pour l’amener à préciser ce qui ne relève que de lui. A mesure qu’il me répond, je décèle un changement d’intonation dans sa voix. Je guette avec attention ce moment précis où Olivier va me parler avec conviction et autorité des raisons de ses choix. Ca y est ! Je peux enfin noter précisément ce qu’il exprime au sujet de SA contribution personnelle.

Tel un miroir, je permets à Olivier de prendre conscience de sa nature véritable : il est un manager dont l’expertise est de savoir faire faire et de coordonner l’action des autres.

Il préfère agir en amont et préparer l’action plutôt que mener sa réalisation concrète. Le voilà qui réalise combien il a besoin de se projeter sur un objectif à moyen ou long terme avant de pouvoir orienter et décliner ses actions de manière logique. Il figure parmi les « organisateurs nés ». Il aime résoudre les problèmes, concevoir des solutions, imaginer des organisations performantes.

Et Olivier fait une autre découverte sur lui-même : c’est dans cette posture qu’il est le meilleur. Cette manière de s’employer correspond précisément à son élan naturel, elle lui permet d’agir en confort, avec souplesse et succès.

Mais le bilan ne s’arrête pas là. Qu’est-ce qui motive vraiment Olivier ? Qu’est-ce qui donne du sens à ses actions ? Que cherche-t-il inconsciemment à apporter à son organisation, ses équipes ?

Je lui demande de revenir sur ses réalisations et de me dire ce qui, selon lui, a permis de les mener à bien. Que cherchait-il à apporter au groupe ? Pourquoi ? Là aussi, j’attends patiemment le moment où Olivier va se mettre à parler avec des accents passionnés.

Que me dit-il ? Quel est son message ? Quelle est sa conviction profonde ? A quoi aspire-t-il ? Je note tout cela scrupuleusement.

Puis, voilà, lui dis-je, ce que j’entends au travers des mots clefs que tu emploies. Olivier écoute et prend alors progressivement conscience de sa véritable motivation : contribuer à une dynamique collective autour d’un esprit commun, à même de permettre à chacun d’exprimer le meilleur de lui-même.

Olivier m’avoue alors, comme s’il s’agissait d’une révélation, que son rêve serait de travailler avec ses équipes pour définir au mieux l’esprit qui anime son site.

Ça y est, la source est débouchée et l’eau coule ! Olivier retrouve un élan et une véritable énergie. Ces mots posés ensemble sur ce qui l’anime au plus profond de lui agissent désormais comme un puissant révélateur. Il est comme libéré.

Je lui pose alors la question clef : penses-tu qu’il te soit possible de vivre tes motivations profondes dans ton poste actuel ? La réponse de Olivier est claire et nette : oui, à condition de revoir totalement sa posture de manager.

Olivier se lance alors dans un travail de fond. Il demande à ses équipes d’identifier les valeurs qui définissent le mieux leur site. Alors que ce n’est pas dans la culture du groupe, il prend l’initiative d’organiser un séminaire de mise en commun du travail effectué. Il définit avec ses équipes un projet fédérateur. Il met en œuvre et accompagne au quotidien les bonnes pratiques en ligne avec ce projet. Il adopte chaque jour une attitude de facilitateur.

En ligne avec sa motivation profonde, Olivier me demande aussi d’intervenir pour aider ses proches collaborateurs à identifier leurs sphères de compétences naturelles. Dans la foulée, nous organisons donc une identification des talents de chacun. Ça y est, une vraie dynamique s’installe ! C’est Olivier qui l’insuffle et l’oriente jour après jour.

Quatre ans plus tard, le site d’Olivier est le seul bénéficiaire de sa division. Ses équipes se sont appropriées les enjeux de l’entreprise. Elles ont développé leur autonomie et ont appris à travailler ensemble. Le groupe lui demande même de venir témoigner de son expérience auprès des directeurs des autres sites.

Nicolas MARTIN.

Que retenir de tout cela ?

A mon sens, ce bilan de talents illustre deux points. Tout d’abord, lorsque la personne agit en cohérence avec son élan naturel, elle accède à son génie personnel, c'est-à-dire qu’elle prend des initiatives, devient mobile et apporte une contribution singulière utile au pôle collectif. Ce bilan met aussi en évidence le fait que, le plus souvent, le génie peut tout à fait s’exprimer dans le poste occupé par la personne. Lorsque nous sommes insatisfaits dans notre travail, nous avons souvent tendance à nous tourner vers l’extérieur en pensant que la fuite est la solution, et que l’herbe est sans doute plus verte ailleurs. Alors que nous portons en nous-mêmes les moyens du changement, là où nous nous trouvons.

Le témoignage d’Olivier :

« Encouragé par Nicolas, j’ai pu sortir d’un rôle de manager très stéréotypé (je sais tout, je décide tout, je fais tout…), et j’ai pris confiance dans ma capacité à réussir avec mon propre style, en osant exprimer véritablement ma personnalité profonde. En un mot, ce travail m’a permis d’occuper mon poste en étant moi-même ! Cela m’a apporté de l’élan et de la sérénité, et aussi une certaine force de charisme et de conviction. Ma contribution à l’entreprise s’en est trouvée fortement améliorée, à ma grande satisfaction.

Par la suite, j’ai pu constater que cette transformation était contagieuse et que, de plus en plus, mes collaborateurs directs exprimaient et assumaient leurs talents respectifs, ce qui a dopé l’efficacité et la motivation de l’équipe. »